LE SIFFLET ENROUE, N° 13
Paraissant au bon vouloir de son auteur,
présentement, le vendredi 1er octobre 2004

Ce qui va pouvoir être lu ici, est le témoignage d'une personne grecque (elle signe « 54633 de Salonique »). Il n'échappera à personne que ce témoignage est aussi un fait dont l'écho ici a été pour le moins annulé. On sait pourquoi. Les crochets au fil du texte sont des précisions de notre part.
Bonne lecture...

LA GRECE, BERCEAU DE L'OLYMPISME…

Dans ce pays où je me trouve et où j'ai grandie, on s'y connaît au sujet de l'olympisme et on n'a jamais ménagé nos efforts pour honorer ses grandes valeurs. Je crois que j'ai dû écrire au moins une dissertation chaque année de ma scolarité sur ce sujet. Donc je revendique le droit d'affirmer que je connais bien ces valeurs, comme d ailleurs la majorité de mes concitoyens.

Tout d'abord, nous avons la définition de l'esprit olympique dans l'hymne grec. Une grande chorale l'a chanté pendant les cérémonies olympiques. Ils m'ont rappelé toutes les fois où l'on m'a habillée d'un drap pour chanter les mêmes paroles dans des fêtes appropriées au sujet à l'école : « Ancien esprit, immortel, le père pur du beau, du grand et du réel… »

Ce qui est vachement bien, c'est que ces derniers temps, ici en Grèce, on a eu plein d'occasions de montrer par l'exemple ces valeurs.

Juin-Juillet :
L’équipe nationale de foot fait un parcours inattendu qui la conduit au titre de champion d'Europe. Après chaque victoire c'est la fête partout, après chaque victoire le nombre de drapeaux se multiplie aux balcons… Tous les gens, grecs et immigrés, partagent la même joie, celle de la victoire de l'outsider éternel. Mais ils n'ont pas tous le même droit de l'affirmer : sur les grandes places des villes réputées, chaque fois devenait de plus en plus visible et compact, le groupe des gens qui chantaient le slogan :
« tu ne deviendras jamais grec, albanais, albanais » et qui tabassait les têtes d'albanais qui avaient le culot de descendre à la fête des grecs.
On nous a dit que c'était des cas isolés, que c'était les fafs qui essayaient désespérément de trouver du public, que c'était pas grave et que ceux qui protestent sont des rabats-joies professionnels.

Août :
« Olympic games welcome home » on l'a dit, enfin ! On a fait les plus beaux J.O., mais vous le savez déjà. On est fiers comme tout et on attend la facture maintenant. [A l'origine, d'un montant de 2,2 milliards d'euros, le budget annoncé officiellement par le gouvernement est de 4,6 milliards. Certains députés parlent de 12 milliards en comptant les dépenses indirectes inscrites au budget de l'État.
[Voir : http://www.anti2004.net/economic_fr.htm].
Je résumes valeurs qu'on a servies, avec les propos d'une personne qui est la plus responsable pour les exprimer (vu qu'elle a été médaille d'or du 400 mètres avec des espèces d'obstacles, Mlle Halkia) au micro après sa victoire : « Nous, les grecs, on est nés les premiers. Le reste est pour les autres, les seconds. On le prouve depuis des millénaires à toute la terre. C'est dans nos cellules - elle parle de "notre" ADN - et c'est le plus grand don. C'est un crime de le remettre en cause. Quand on a une âme grecque et de la foi en Dieu on peut conquérir le sommet du monde ».
A part pour les rabats-joies, la majorité des habitants n'a rien trouvé à redire à ces propos...

Septembre:
Un journal, maintenant que la fête est finie, demande aux Athéniens ce qui leur restera inoubliable. Une charmante jeune fille déclare aux journalistes : « dans les rues tu voyais plein d'étrangers et ce n'était pas des Serbes et des Albanais » (espèces trop présentes sur place sans doute à son goût).

Samedi soir 4 septembre (conclusion) :
Les champions d'Europe jouent contre l'Albanie à Tirana. Dans le pays qui est notre principal fournisseur de main d'oeuvre à prix misérable, on veut gagner. Dans le stade ils osent brûler notre joli drapeau. Et ils osent nous battre. [Le premier ministre albanais, Fatos Nano, avait promis 500 000 dollars (environ 410 000 euros) de prime à son équipe nationale si celle-ci parvenait à battre les champions d'Europe. Le Monde, 6 septembre 2004 ; 30% de la population albanaise vit en dessous du seuil de pauvreté]. Et ils osent dire qu'ils nous ont baisé (exactement de la même manière qu'on affirmait l'avoir fait au reste de l'Europe).
Plusieurs chaînes de télé parlent de « provocations ». C'est vrai, vu qu'ils n’ont pas notre ADN pour se permettre de faire les choses que nous on fait dans nos fêtes... Comment se permettent-ils d'être nationalistes, cette nation pourrie ?
En plus ils ont osé aller occuper nos places pour fêter ça. Dans toutes les villes, dans les villages, sous le regard indifférent de la police, il y a eu de vraies ratonnades spontanées, des attaques contre les albanais qui affirmaient leur joie... La télé parlait de l'affront qu'on subissait, le citoyen averti descendait dans la rue protéger ses valeurs et son drapeau. L'olympisme ayant une place prestigieuse dans tout ça, bien sûr, puisqu'on est la nation élue qui a la mission de les sauvegarder. Ce message nous a été souvent répété ces derniers temps. Résultat des courses ? Un mort et des dizaines de blessés ; un nombre hallucinant de bagnoles appartenant à des albanais (certes, peu onéreuses) saccagées, brûlées (on met le feu quand les passagers sont dedans bien sûr). Pratiquement pas d'arrestation, on ne sait pas qui a fait ça... Seul l'assassin a été arrêté.

Le préfet de Salonique (où je vis), élu avec 60% au 1er tour, a demandé en gros, à l'Albanie de nous demander pardon pour la vermine qu'elle nous a envoyé... [cf. Libération du mercredi 8 septembre 2004].
A la manif des grognons, le mardi 7 septembre, on était 700. Les « bonnes » nouvelles sont que cette fois-ci, presque toute la presse écrite et les politiciens trouvent que c'était quand même un peu trop.

Bises a tous
« 54633 de Salonique » aux J.o.

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